Au-delà de cette limite votre ticket n'est plus valable by Romain Gary

Au-delà de cette limite votre ticket n'est plus valable by Romain Gary

Auteur:Romain Gary
La langue: fra
Format: epub
ISBN: EPUB9782072492204-103005
Éditeur: Editions Gallimard
Publié: 2013-08-14T16:00:00+00:00


XI

Ce fut quelques jours plus tard qu'il vint à mon secours pour la première fois.

J'avais emmené Laura à la campagne. Le mois de mai nous fut complice : il faisait presque chaud. Le jour finissait. Les ombres et les lumières nous couvraient de leurs dentelles déjà un peu jaunies, le printemps en herbe promenait ses bêtes à bon Dieu et ses papillons blancs. La Loire faisait sa promenade crépusculaire avant de rentrer au château ; le courant était très doux, la grande dame était bien vieille et avait ici quelque peine ; il y avait dans le ciel les petites robes blanches de tant d'autres amours au bord de l'eau. Sur l'autre rive, des champs bien rangés et des collines bien sages. C'était un de ces coins de France qui semblent toujours réciter une fable de La Fontaine. Il manquait certes ma commère la carpe et le héron au long cou mais les paysages français ont droit eux aussi à leurs trous de mémoire. A l'horizon, pas trace de cartes postales « chargées d'histoire », ni cathédrale ni châteaux : la vieille dame se promenait ici incognito, fort peu soucieuse de son grand nom. Tout près de nous, la forêt riait parfois d'une voix un peu aiguë de jeune fille et puis il y eut un long silence et il était difficile de ne pas le soupçonner d'un baiser ou même pire. C'était pourtant une forêt très digne et même guindée, qui avait plusieurs quartiers de noblesse.

Je tenais la main de Laura dans la mienne.

Il y avait sur l'autre rive un skiff aux bras vides ; je n'aime pas les skiffs et leur air d'éternels condamnés à la solitude. Les bourdons aux gros sabots s'acquittaient avec conviction de leur maladresse proverbiale et les libellules, comme toujours – et c'est là un de leurs charmes –, perdaient la tête à l'approche du soir. Ce silence ne pouvait plus durer : il était plein d'aveux plus lourds encore que celui que mon corps venait de faire. Il fallait en sortir, parler avec détachement, minimiser, une fois de plus, ou dire quelque chose de joli, de bien tourné, par exemple, que même au bout du souffle il y a encore un baiser. Caresser tes cheveux doucement, Laura, d'un geste rassurant, car est-il besoin de se dire qu'un amour comme le nôtre n'est pas à la merci des défaillances corporelles ? Et appuyer encore contre les tiennes mes lèvres qui ignorent l'usure, tendrement, voluptueusement, pour te montrer qu'il me restait encore quelque chose à donner, malgré tout ce qui venait de me manquer ailleurs, et que je ne mettais pas tous mes œufs dans le même panier. Elle leva les yeux.

– Pourquoi ce rire ?

– C'est drôle, voilà tout.

– Qu'est-ce qui est drôle ?

– La crise de l'énergie.

– Vous autres, Français, vous ne pensez plus qu'aux Arabes.

... Je me souvenais de la voix rauque, rapide : sí, señor. Il suffisait de se faire cirer les bottes à Grenade pour voir à quel point le sang maure avait marqué l'Espagne.



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